Gaston Chaissac (1910-1964) – Totems & papiers peints
Gaston Chaissac (1910-1964) – Totems & papiers peints
Sans titre (Souche au visage bleu), 1960
Huile sur souche de bois
« Je viens de peindre une série de figurines sur de chétives planches aux formes curieuses ; je ne puis pousser plus loin l’expérience faute de disposer d’un local pour remiser d’aussi encombrants laissés pour compte. » (Lettre à Gaston Ferdière, vers août 1959)
Ce personnage au visage bleu se rattache à la famille des « figurines » que réalise Gaston Chaissac à la fin des années 1950 sur des morceaux de bois récupérés. Il les rassemble dans la classe désaffectée de Sainte-Florence, comme en témoigne un reportage de Gilles Ehrmann publié dans la revue Aujourd’hui en février 1961. Mais cette œuvre tout en rondeur annonce aussi les totems aplatis qui voient le jour au même moment. Tout comme elle, les premiers d’entre eux, peinturlurés à la hâte, sont confectionnés avec le bois du bûcher et les suivants, notamment Anatole, adoptent la même imbrication de formes colorées et cernées.

Monsieur Antoine, 1960
Huile sur bois
« Je peins sur des planches brutes tarabiscotées des figurines à allures de sculptures dont certaines sont plus hautes que moi. Tout cela pour me donner des chances car j’attends la visite d’un grand marchand de tableaux étranger tandis qu’un assortiment d’ennuis continue de m’empoisonner la vie. » (Lettre à Joseph Bonnenfant, 1960)
Monsieur Antoine fait partie des tout premiers totems réalisés par Gaston Chaissac. Le procédé, un assemblage fruste de planches « chétives », bonnes pour le bûcher, rehaussé de peinture à la diable, provient de la peinture sur pierre ou sur objet. Une épaisse ligne noire, posée à bon escient sur une surface triangulaire pour dégager les traits du visage, suffit à croquer un visage, révélant du même coup le couvre-chef et le costume du personnage. Les totems incarnent à la perfection le « génie plastique du bricolage » de Chaissac, relevé par le critique Pierre Guéguen. Reproduits en couverture de la revue Aujourd’hui en février 1961, ses sculptures faites de bric et de broc ne passent pas inaperçues et ouvrent à l’artiste les portes des galeries d’avant-garde.

Sans titre (Y 'a d'la joie ou Anatole), 1960
Huile sur bois
« Cinq de mes plus récents [totems] sont au moins aussi hauts que moi et en comptant les petits j’en ai une quarantaine. Quelle armée. Et où même les grands dépendeurs d’andouilles sont représentés. C’est à s’en croire le jouet d’une hallucination tellement ils sont affolants et d’ici qu’ils se fassent classer malsains il n’y a pas loin. mais comment sortiraient-ils du cadre de l’illustration ? On se le demande grands dieux. » (Lettre à Iris Clert, 12 mars 1961)
Gaston Chaissac perfectionne le procédé de ses totems en les réalisant sur des planches récupérées à Sainte-Florence chez Piveteau, le gérant de la scierie voisine. Si les contours restent irréguliers, la surface est suffisamment plane pour accueillir ses formes imbriquées, peintes en aplats de couleurs vives et serties de son fameux cerne noir. La facture est la même que dans les peintures, mais elle est tributaire des caractéristiques du support qui fixe les contours, détermine la silhouette, place le chapeau ou la figure. Les totems, qui sont des bas-reliefs s’appréciant de face, sont de la même espèce que les masques peints sur des objets de rebut. Mais ils représentent des personnages de pied en cap, à une échelle démesurée qui peut excéder la taille humaine, les plus hauts d’entre eux dépassant les trois mètres.

Sans titre ( (Personnage au chapeau rouge), 1960
Huile sur tôle découpée
« Pendant toute ma jeunesse j’ai tracé modestement des graffitis que je détruisais. J’aurais dû continuer. Les conserver fut la grave erreur de ma vie. Et je n’aurais surtout pas dû m’encombrer de ces totems. Qu’importe ces totems, les documents photographiques les représentant suffisent. Des totems en cartes postales que les touristes peuvent emporter voilà l’idéal et ils seraient du reste en cendres s’ils étaient nés plus tôt et avaient été exposés au bazar de la charité. » (Lettre à Iris Clert, 12 mars 1961)
La production des totems se poursuit au gré des matériaux dont Chaissac dispose. Ce totem hiératique a été réalisé sur un grand morceau de tôle récupéré sur le chantier de rénovation de l’église de Sainte-Florence. Le personnage se développe selon trois formes et couleurs distinctes : le rectangle rouge d’un chapeau démesuré, l’ovale jaune du visage aux yeux écarquillés et le manteau d’un bleu royal découpé de biais.

Sans titre, 1961
Collage de papiers peints sur papier kraft
« Cher Dubuffet, avec des papiers peints qui me sont tombés du ciel je fais actuellement des collages dont certains sont des réussites. On ne m’opère pas de l’appendicite mais je suis déprimé et mes maux de nuque remettent ça. Amicalement. gaston chaissac. » (Lettre à Jean Dubuffet, septembre 1961)
Au dire de Chaissac, ce serait Michel Diot, industriel, peintre et collectionneur angevin, qui lui aurait soufflé l’idée de réaliser de grands collages à partir d’échantillons de papiers peints. Il s’y emploie à partir de septembre 1961, une fois installé à Vix. L’artiste y reprend l’agencement en mosaïque de ses collages des années 1950, mais à plus grande échelle et avec de larges pans de papier. La composition est plus construite et le chromatisme adouci laisse la part belle aux effets des gaufrures et des imprimés. Un épais cerne noir parachève l’ensemble, en sertissant chaque forme, en dessinant les traits du visage, en ajoutant une inscription ou une fioriture ornementale.

Sans titre (Le volet à tête verte), 1963
Huile sur bois
« Cher ami, j’en suis a peindre nombre de totems de conceptions primitives sur des planches que Mion (max) est allé me choisir à la scierie. Je continue de me déplaire souverainement et de languir en Vendée. Si j’avais la possibilité d’aller en Australie peut-être y gagnerais-je quelque sérénité. Enfin espérons que sans attendre a tant mes made in vix auront quelques succès à Milan. Je peins d’autres totems beaucoup à l’intention de iris clert, des fois qu’elle voudrait en exposer sous peu ? Ca pourrait ne pas lui plaire que pagani ait tout emporté. » (Lettre à André Bloc, après juin 1963)
Ce grand totem a été réalisé à partir d’un vieux volet et d’un morceau de planche assemblés avec l’aide de Max Mion, un cousin menuisier. Chaissac, loin de gommer l’origine du support, visible dans la juxtaposition des lattes de bois, en rappelle au contraire les traverses d’un épais trait noir. L’effigie à moustache qui surgit derrière la palissade campe la figure, en retrait derrière le déluge des couleurs et des formes imbriquées du vêtement. La sculpture est plate et s’apprécie de manière frontale. Dans la lignée du grand décor peint chez les Penaud en 1953, elle affirme sa picturalité.

Sans titre, 1963
Gouache et morceau de papier peint sur papier à tapisserie
« Cher ami. Des galeries des plus farfelues s’intéressent de plus en plus a mon art mais doivent encore ignorer que pascal Mistenflutte de vix possède de mes totems. Ma santé continue de beaucoup laisser a désirer. J’espère que la votre s’est arrangée ainsi que le reste. Je continue de peindre péniblement. » (Lettre à André Bloc, août 1963)
À partir de 1962, Chaissac mixe la gouache et les papiers peints dans de vastes compositions ou les motifs imprimés s’inscrivent en contrepoint des plages unies. L’aplat contraste avec les motifs floraux, les couleurs vives réveillent les tons sombres ou retenus, la ligne noire délimite les différentes zones et fixe les traits d’un visage. Le papier collé est réduit à la portion congrue (un seul morceau rapporté dans le coin supérieur droit de l’image) dans la gouache où une tête verte hilare surgit d’un fond de papier à peindre laissé en réserve. Les lignes y sont particulièrement embrouillées, cloisonnant de petits fragments ornés de couleur, de dentelle ou de pointillés.